Lescure Léon, Claix (16)

16-Claix-3 Lescure Léon laiterie

LAITERIE COOPÉRATIVE SAINTE-ANNE-DE-CLAIX (16AA) par Serge Schéhadé

Léon de Lescure de Combemary est né en 1842 à Nontron en Dordogne. En 1877, il devient le propriétaire du château de Claix, appelé également Château Saint-Georges. Cette belle bâtisse en pierre de taille à un étage et étage en surcroît avec façade ordonnancée, avait été entièrement reconstruite en partie et restaurée par Antoine de Julgart, dans la deuxième moitié du 18ème siècle. En 1884, M. Lescure va faire construire en son domaine une laiterie beurrerie industrielle qui deviendra laiterie coopérative en 1908, suivie de la construction d’une distillerie en 1894, et plantation de vignes après des années de souffrances dûes aux méfaits du phylloxéra. Léon de Lescure sera un précurseur dans l’organisation des laiteries charentaises, un exemple de ce que pouvait faire un propriétaire attaché à ses terres. Médaillé à maintes reprises pour la qualité de ses beurres, il était aussi le président du Syndicat Agricole de Claix.

Décédé en son château de Claix le 06 septembre 1916, son neveu Charles Lescure devient président. C'est lui qui déposera le 10 décembre 1919, au greffe du Tribunal de Commerce d'Angoulême,  la marque de fromage Gournay Double-Crème. Cependant, c'est M. Adrien Chillaud, agent commercial qui connaît le mieux la maison et semble être le plus à même pour la diriger. Mais qui était M. Chillaud ? Adrien Chillaud est né en 1868 au village de Roullet. Élève de l’école communale de Claix, il va faire de solides études primaires puis deviendra employé de bureau et collaborateur assidu et dévoué de M. Léon Lescure. Maire de Claix et Conseiller général de Blanzac, apprécié et respecté de tous, il était administrateur de la laiterie de Claix. Son activité débordante était au service de tous. C’est à son initiative que quelques années après le décès de Léon de Lescure de Combemary, que la laiterie coopérative va racheter en 1921, les terrains et le château de Sainte-Anne de Claix.

Ci-après éloge et discours de M. Le Préfet de la Charente lors des obsèques de M. Chillaud en 1927 qui va permettre au lecteur de faire connaissance avec cet homme qui a joué un rôle décisif durant de longues années pour assseoir et installer dans la durée la laiterie Lescure :

« Messieurs, j'ai, à mon tour, le devoir de venir au bord de cette tombe si prématurément ouverte apporter au regretté Adrien Chillaud le dernier tribut de reconnaissance et le suprême adieu de l'administration préfectorale et du département de la Charente ». Déjà, ceux qui m'ont précédé ont rappelé en termes à la fois élogieux et attristés, les rares qualités de celui qui disparaît, les services qu'il a rendus au cours d'une vie digne et laborieuse, les œuvres qu'il sut créer et qui continueront à faire vivre longtemps son souvenir dans l'esprit et dans le cœur des populations de toute une vaste région. Nulle récompense ne pourrait, mieux que cette dernière, couronner et honorer les efforts de M. Chillaud, car si l'on cherche les mobiles d'une activité si féconde en résultats heureux, il n'est pas difficile de découvrir que seul l'amour passionné de la terre natale inspira toutes ses manifestations et toutes ses initiatives.

M. Chillaud, en effet, ne fut jamais un déraciné. Toute son existence s'est écoulée à ce petit coin de terre charentaise qui s'étend entre ce village de Roullet où il naquit en 1868 et où il revient aujourd'hui jouir auprès des siens de l'éternel repos, et cette laiterie de Claix qu'il contribua à créer aux côtés de son fondateur, M. Lescure, et dont il sut, plus tard, en la transformant en coopérative de production, faire un bel instrument de richesse locale et de progrès social. Jusqu'à son dernier souffle il s'intéressa à cette œuvre, qui fut son œuvre de prédilection, et à l'heure même, comme me l'écrivait un de ses plus fidèles collaborateurs, où le voile de la mort commençait déjà à s'étendre sur son visage, son esprit toujours en éveil s’inquiétait, avec une sorte de tendresse passionnée, de son sort et de son avenir. Vous pouvez dormir en paix, M. Chillaud ; ce qui fut l'objet constant de vos pensées et de vos efforts continuera à vivre, soutenu par cette foi ardente que vous avez su faire passer dans le cœur de tous ces coopérateurs que vous avez groupés autour de vous et qui garderont pieusement le souvenir des services que vous leur avez rendus.

Un pareil dévouement à l'intérêt public devait attirer l'attention de ceux qui en étaient l'objet. L'existence même de la laiterie de Claix obligeait M. Chillaud à s'occuper de tout ce qui pouvait intéresser le sort de l'agriculture charentaise, et nombreux furent les syndicats qui lui confièrent tout d'abord le soin de veiller sur leur avenir. Puis vinrent naturellement les, mandats électifs. Entré au Conseil municipal de Claix en 1896, M. Chillaud fut élu adjoint au maire en 1920, maire en 1921 et, presque en même temps, conseiller général du canton de Blanzac. Enfin, il y a quelques mois seulement, la Chambre départementale d'agriculture de la Charente, tout nouvellement créée, l'appelait dans un unanime sentiment de confiance, à diriger ses débats. Me trouvant, à cette occasion, à ses côtés, j'ai pu alors mesurer combien était profonde la foi qu'il avait dans les destinées de son pays, combien était ardent son désir de le voir contribuer de tous ses efforts et de toute son activité à l'œuvre de redressement national qui est le but constant de nos préoccupations et de nos soucis. A l'Assemblée départementale, M. Chillaud avait rapidement pris une place dont sa disparition permettra seule d'apprécier toute la valeur. D'une exquise courtoisie vis-à-vis de ses collègues, M. Chillaud était unanimement apprécié d'eux, et son rôle ne cessait de grandir de jour en jour. Nombreuses sont, en effet, les commissions où le Conseil général et l'administration préfectorale étaient accordés pour faire appel à sa compétence. C'est ainsi qu'il fut successivement appelé à entrer à la commission des Chemins de fer, à la commission d'examen des projets d'embellissement des villes et des lotissements, au conseil de perfectionnement de l’école pratique de Commerce et d'Industrie d'Angoulême, au conseil départemental d'hygiène, à l'Office public d'habitations à bon marché. Partout où il siégeait, l'action de M. Chillaud se faisait sentir, car sa vive et profonde intelligence, ne se laissant dominer pas aucun système préconçu, cherchait avant tout à atteindre la réalité des choses et à voir quels étaient les intérêts durables et permanents qu'il fallait servir. Pour lui, les idées n'étaient pas des idoles devant qui on devait, quoi qu'il arrive, s'incliner et son grand bon sens de réaliste et de créateur lui indiquait qu'avant tout il fallait tenir compte des données toujours plus fécondes et plus souples de l'expérience. Ses interventions étaient généralement courtes, comme celles d'un homme qui croit et qui sait qu'il vaut mieux agir que parler, mais toujours nettes, précises et allant droit au but.

Depuis mon arrivée à la préfecture de la Charente, M. Chillaud m'avait témoigné une confiance et une sympathie dont je lui suis profondément reconnaissant et je n'oublierai jamais que la dernière fois que je l'ai vu à la fête de famille d'un de nos communs amis de ce canton, il m'en donna une dernière preuve qui me toucha infiniment. Au cours des très nombreux entretiens que nous avons eus, il m'a été permis d'entrer plus avant qu'au cours des réunions officielles dans l'intimité de son esprit et d'en apprécier toute la valeur et tout le charme. Doué d'un solide bon sens et d'une vive intelligence, M. Chillaud avait sur toutes les questions qui peuvent attirer l'attention des administrateurs ou des hommes publics, des vues neuves, originales, et où on sentait toujours une profonde connaissance de l'homme et de la vie.

Le culte de la justice et de la vérité était sa seule règle, et s'il pouvait avoir des convictions, elles ne lui firent jamais, le cas échéant, oublier le mérite de ses adversaires ou méconnaître les faiblesses de ses amis. Je n'aurai garde d'insister, car dans ce lieu de paix où viennent s'amortir et s'éteindre les passions humaines, il y aurait une sorte d'impiété à rappeler, même un instant, de passagères divisions. Seul ici le grand effort qui unit les hommes et les générations dans un même idéal peut et doit être évoqué pour honorer, comme elle le mérite une belle et noble vie. Qu'il me soit permis de rendre à celui que nous regrettons ce simple et suprême hommage : il fut un de ceux qui m'ont beaucoup appris.

Et maintenant, Messieurs, le bon ouvrier que fut M. Chillaud a terminé sa tâche. Il va dormir auprès des siens dans ce modeste cimetière de Roullet son dernier sommeil. Qu'il repose en paix dans cette terre natale qu'il a si profondément aimée, si utilement servie. Plus heureux que beaucoup d'autres, son nom ne tombera dans l'oubli, et ses services, son œuvre, rappelleront longtemps aux générations qui seront appelées à en profiter la noblesse de sa vie ce et l'utilité de son effort. Notre souvenir fidèle lui demeure acquis pour tout ce qu'il a fait comme pour tout ce qu'il aurait pu faire encore si le livre des jours ne s'était pas si prématurément fermée devant lui.

Au nom de l'administration préfectorale, au nom du département de la Charente, je m'incline respectueusement devant cette tombe qui va éternellement conserver les restes d'un homme de bien et de tout cœur; j'adresse à Mme Adrien Chillaud, à son fils aux parents, aux amis de celui qui disparaît, l’hommage de mes profonds regrets et de mes condoléances les plus émues. »

D'autres informations à venir.............

Serge Schéhadé [Camembert-Museum, le 14 mars 2022]

 

 

 

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 14/03/2022