Laiterie Fromagerie de la Vimeuse (80)
PIQUEREAU LÉOPOLD, LAITERIE DE LA VIMEUSE, MONCHELET (Somme 80)
par M. Jean-Marie Ternisien.
En 1898, Léopold Piquereau, un jeune cultivateur de 27 ans natif de Migré, petit village de 600 âmes de Charente-Maritime (Ex Charente- Inférieure), décide de créer une Laiterie. Ce petit village possédait une coopérative laitière, et ce depuis 1892. On peut donc raisonnablement penser qu’il y avait un lien de cause à effet. Le choix de l’implantation géographique se portera sur un village de la Somme (80), et plus particulièrement le Vimeu (600 kilomètres de Migré à Monchelet). Pourquoi ? Il n’y a pas de réponse connue à ce jour. Quels pouvaient être les atouts de ce site nommé Monchelet hameau de Maisnières en Vimeu (550 habitants) : (1) Cette région vivait essentiellement de l’agriculture et de l’élevage. (2) Monchelet est traversé par une rivière nommée La Vimeuse. Vouloir s’installer à proximité d’un cours d’eau n’est pas anodin. (3) Deux gares étaient implantées aux environs : Maisnières en Vimeu et Longroy –Gamaches. Cette dernière se trouvait à seulement 6 kilomètres et…en Normandie !
Léopold PIQUEREAU établira et déposera au Greffe du Tribunal de commerce de Paris les statuts d’une Société en nom collectif. Il en sera le gérant et l’investisseur avec pour associé son beau-frère Edmond RICHAUME. Celui-ci, âgé de 26 ans, est également cultivateur natif de Migré. Tout est alors en ordre afin de mettre le projet à exécution. Ainsi commence une aventure à priori bien préparée par un homme très « entrepreneur » et persévérant:
Léopold commandera et surveillera l’opération depuis Paris. Il sera le gérant et le commercial de l’affaire. Son nom apparaitra, à compter de 1898, sur les BOTTIN de commerce en rubrique « Négociant en beurre et œufs ». Au départ Il aura pignon sur rue au 9 rue Jeanne, dans le 15ème arrondissement de Paris. Edmond RICHAUME, basé à MONCHELET, sera le Négociant local en charge de démarcher les agriculteurs et éleveurs de vaches laitières du Vimeu. Une des préoccupations de Léopold sera de bien faire connaitre et admettre sur place cette future installation, donc de la baptiser en conséquence. Le nom choisit sera donc : "LAITERIE DE LA VIMEUSE"
Avec Léopold comme patron, c’est une famille PIQUEREAU élargie qui sera à l’origine de la Laiterie de la Vimeuse. Pourquoi impliquer la famille dans cette création ? Le constat est évident, toute une famille a participé au projet. Léon, le père, qui avait 55 ans en 1898 (né en mars 1843), n’a pas hésité à quitter sa Charente - Inférieure natale pour venir s’établir à Monchelet. Il s’installera avec son épouse Clémentine née Guérineau âgée de 58 ans, sa fille de 25 ans Léonie et son gendre de 26 ans Edmond RICHAUME. Ces derniers ont avec eux leur fillette de 2 ans prénommée Andrée. L’équipe sera renforcée par 2 autres Charentais.
Une fois établie sur place l’équipe va matérialiser le projet. Les travaux de construction démarrent rapidement. L’objectif de commercialisation des produits finis semble être 1900. D’ici à cette échéance doivent sortir de terre : le logement pour l’équipe en place, la 1ère phase de la Laiterie devant permettre la fabrication et l’emballage du beurre, ainsi que la construction d’une écurie et d’une remise pour tombereaux hippomobiles. La tournée de récupération du lait chez les éleveurs retenus se fera à partir de tombereaux.
En avril 1900, Léopold PIQUEREAU déposera en Préfecture de la Somme une « déclaration d’installation de chaudière à vapeur » pour fabrication de beurre. En juin de la même année il fera enregistrer au greffe du tribunal de commerce de la Seine des marques pour étiquettes, récipients et emballages de beurre. (Voir détails ci-dessous).
L’année 1900 marque le début de la production et commercialisation du beurre (En motte ou emballé. Si tel est le cas l’étiquette portera donc le nom de fleurs : La Rose, L’Oeillet et La Pensée). Les acteurs principaux n’étaient pas du pays. Force était de constater qu’ils provenaient d’une région où la fabrication du beurre et des fromages à pâte molle était déjà bien développée. Ils amenaient une connaissance que le Vimeu ne détenait pas. En contre partie le pays avait rapidement adhéré à ces changements et avait fourni une main d’œuvre efficace. Le courage des Picards du Vimeu était au rendez-vous.
Léopold a déménagé.Depuis Paris, où il logera au 21 Boulevard Ornano, il sera très actif. Au démarrage l’effort publicitaire se doit d’être important. Le nécessaire va être entrepris sur plusieurs fronts. A l’Exposition Universelle de Paris, en 1900, La Laiterie de la Vimeuse sera primée, de même aux concours agricoles de Paris en 1901, 1902 et 1904. Sur le plan local : il est indiqué une médaille au concours agricole d’Abbeville en 1900. Le bulletin du Comice d’Abbeville, No 2 de la Revue Agricole de la Somme paru en août 1900 fournit les détails. On y relève dans la proclamation des récompenses : « Produits divers…médaille de bronze à Mr.PIQUEREAU au Monchelet..Maisnières pour son beurre ». Dans cette même brochure, Léopold est annoncé dans la liste des nouveaux associés du Comice
S’il est très actif depuis son bureau parisien, la famille ne l’est pas moins à Monchelet. Son père Léon et son beau frère Edmond Richaume s’occupent de faire tourner l’usine et de vendre, localement, une partie de la production. Sur le recensement de 1906, Edmond Richaume apparaît comme négociant en beurre et œufs et, pour Maisnières – Monchelet et les villages très proches, on dénombre 10 personnes employées sur le site (certains comme beurriers et d’autres comme laitiers ou chauffeurs). . Locataire jusqu’alors, ce sera sur ces bases que la Société va devenir propriétaire en 1906 et prendre ainsi un tournant important. Elle va acheter 10 ares et 84 centiares. Ce n’est pas très vaste mais il y sera remédié par des constructions denses. Les actes seront signés à Gamaches le 14 novembre et 10 décembre 1906 chez Maître Sédille. (Achat de vergers pour une contenance de 10 ares 21 centiares moyennant le prix principal de 1000 francs, Echange plus achat d’une petite parcelle de terrain contre une partie de verger (cet échange permet d’avoir un accès sur la Vimeuse). La différence est de 63 centiares en faveur de L. Piquereau et Cie).
Cet achat global revient à 1034 francs. L’activité va croissante, et la Laiterie présente 2 intérêts pour le village : (a) Fournir aux agriculteurs éleveurs un acheteur qui viendra chercher le lait à la ferme, (b) Donner du travail à quelques habitants qui trouveront un emploi proche.
En 1905 « L. Piquereau et Cie » avait fait imprimer son papier à en tête (Papier à lettre et facture) .
Sur cet extrait on trouve : La Liste des médailles ainsi que les coordonnées du nouveau Siège social 21 boulevard d’Ornano à Paris et téléphone de L.PIQUEREAU . Le document original contenait aussi un texte manuscrit évoquant l’évolution du prix du beurre au cours de l’année.
En mars 1906, Léopold PIQUEREAU veut continuer d’agrandir la Laiterie. L’objectif étant de conserver certains beurres par le froid en les emmagasinant dans des chambres frigorifiques. Cette méthode permettait de garder le beurre lors de la chute des cours et de le commercialiser lorsque les prix remontaient. À cette même période Il rend compte de l’importance de la Laiterie-Beurrerie et de son capital, estimé par son propriétaire a 100 000 francs sur la base de : Terrain et constructions, 1 machine à vapeur, 1 machine à glace, écrémeuses, baratte, malaxeur, lessiveuse, pasteurisateur, réfrigérants, chambres frigorifiques, bassins, bidons, presse à fromage et accessoires divers.
L’activité fromagère était donc déjà en route en 1905 - 1906. Sur la période L.Piquereau et Cie, 4 étiquettes de camemberts verront le jour. Elles représentaient une tête de vache. La 1ère, émise vers 1905, portait comme seule mention CAMEMBERT inscrit sur bandeau rouge. Les autres faisaient référence à la FROMAGERIE ou LAITERIE DE LA VIMEUSE et L.PIQUEREAU. Une marque avait été déposée le 19 mars 1909 au greffe du tribunal de commerce de la Seine par Léopold via l’INPI.
Le 20 décembre 1909 le Syndicat des fabricants du Véritable Camembert de Normandie, fait apposer un timbre, que tous les collectionneurs d'étiquettes de fromages connaissent, sur chaque étiquette produite par ses adhérents. Face à la concurrence, les normands créèrent un syndicat professionnel dont l’objet était : (a) la revendication de l’appellation camembert, (b) l’étude et la défense des intérêts collectifs professionnels. C'était un mauvais signal pour la société "L. Piquereau & Cie" installée en picardie. Toutefois, Léopold n'avait pa s mis "tous ses oeufs dans le même panier". En parallèle de Montchelet il avait démarché, via les journeaux de l'époque et des lieux concernés, Paris et la Charente-Inférieure, basée à Migré, pour ses activités de négoce beurre et oeufs.
De 1900 à 1911, la Laiterie ne cessera de s’agrandir. Depuis la 1ère année d’existence d’autres constructions furent élevées, comme en attestent les anciennes matrices cadastrales : Le logement de la famille s’est agrandi au fil des années et chambres pour le personnel, la construction d’une écurie et d’une remise. La fromagerie, en activité dès 1905, sera améliorée jusqu’en 1910, avec salle de lavage et de fabrication et salle d’emballage, En 1911, la page PIQUEREAU et Cie va se tourner. La Société va vendre l’usine. Le 14 février 1911 Léopold PIQUEREAU et Edmond RICHAUME dissolvent la société en nom collectif au tribunal de commerce de Paris. Léon Piquereau, Edmond Richaume et leur famille vont quitter la région. Léopold PIQUEREAU formera une nouvelle société, en commandite par actions, suivant acte à Paris chez Maître Robineau, en date du 10 mai 1912. L’annonce paraitra le 14 janvier 1913 dans le « Journal de Chartres", journal de Dreux et d'Eure-et-Loir. La société aura pour objet la conservation et la vente de beurre, d’œufs, la fabrication et la vente de glace, etc.. La page L. Piquereau à Montchelet se tourne, mais l'activité laitière continuera avec de nouveaux propriétaires...
Jean-Marie Ternisien pour Camembert-Museum, (Noël 2019)
Date de dernière mise à jour : 03/08/2021