Benjamin Rabier (1864-1939)
Benjamin Rabier. Nous sommes nombreux en France, à garder parmi nos livres d’enfant, une tendresse bien particulière pour les bandes dessinées de Benjamin Rabier. Ils nous rappellent souvent des tranches de notre vie heureuse et insouciante. Il y’a Gédéon, ce petit canard malin qui sait toujours comment se jouer d’animaux plus grands et plus forts que lui, Chabernac le singe, la chèvre Aglaé, la souris verte, la tortue mauve etc… Ces personnages fort sympathiques évoluent à la campagne et dégagent cette sérénité que l’on ne retrouve nulle part dans les BD éditées de nos jours. Certains adultes vous diront même, que cet amour des animaux et de la campagne ils le doivent pour une grande part à Benjamin Rabier, l’homme qui voulut faire rire les animaux, nous donner du bonheur, et qui fit la fortune de Léon Bel avec sa vache qui rit… A son actif aussi, près de 250 albums illustrés pour les enfants, l’illustration des fables de Jean de La Fontaine, et il se raconte qu’Hergé s’était inspiré du premier album de Benjamin Rabier « Tintin Lutin » pour créer son personnage de Tintin. C’est vous dire… En tant que collectionneurs d’étiquettes de fromage, nous sommes surtout intéressés par toutes les étiquettes signées par cet illustrateur de génie. Nous aurons l’occasion sur ce site de développer et d’illustrer cette partie de l’œuvre de Benjamin Rabier.
Benjamin Rabier [Sa vie, son univers] Illustrateur et auteur de bande-dessinée français, Benjamin Rabier est né en 1864, à la Roche-sur-Yon. Cinq ans plus tard, il s’installe avec ses parents aux Buttes-Chaumont, à Paris. Dès 1889, plusieurs revues françaises commencent à publier ses dessins (Gil Blas Illustré, La Chronique Amusante). L’homme est déjà connu et apprécié en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Dès 1903, il se lance dans le dessin pour enfants, et va rejoindre l’équipe de « La Jeunesse Illustrée » où il va livrer pendant de nombreuses années des histoires courtes, mettant en scène animaux et enfants farceurs. Son dessin est simple et d’une grande lisibilité, c’est d’ailleurs ce qui fait sa force. Son œuvre est presque entièrement centrée sur le monde animal. Pour Rabier, l’aventure est cependant une rupture provisoire avec l’ordre moral représenté par la famille. Nous sommes, ne l’oublions pas, dans le premier quart du 20ème siècle. Ne dit-on pas alors qu’un enfant doit être sage comme une image? Et pourquoi ne dirions-nous pas aujourd’hui comme une image de Rabier ?
Benjamin Rabier, Léon Bel & la Vache Qui Rit… C’est en 1921, que Léon Bel va s’inspirer d’un dessin de Rabier, représentant le buste d’une vache, décorant les camions de transport de viande pendant la Première Guerre Mondiale et qui était surnommé « La Wachkyrie ». Un an plus tard, il s’adresse à Benjamin Rabier et lui demande de retravailler cette tête de vache qui rit en la rendant plus joviale, plus optimiste, afin de lui faire vendre des fromages. La réussite sera totale et le logo de la marque est toujours vivant un siècle plus tard. [Serge Schéhadé]
BENJAMIN RABIER ET LA VACHE QUI RIT [Michel Coudeyre]
Tout le monde connaît la Vache qui Rit. Tout le monde connaît Benjamin Rabier. On connaît moins, par contre, l’histoire commune qui les unit. Je voudrais juste en rappeler les faits essentiels : Benjamin Rabier (1864-1939) illustrateur animalier de talent, on lui doit entre autres les illustrations des Fables de La Fontaine (qui viennent d’être rééditées en fac- similé) ou encore le Roman de Renard ; il créera et fera vivre le célèbre personnage du canard Gédéon tout au long de 17 albums. Dès 1915, il dessine pour la publicité, où son talent chaleureux et expressif fait merveille. Il prête à ses animaux des sentiments et des expressions propres à la nature humaine ; l’anthropomorphisme comme moyen d’expression n’est pas nouveau, bien avant lui, Grandville et bien d’autres en ont fait usage, mais sa manière aimable, l’humour sans façon qui se dégage de ses dessins, son univers bucolique, en ont fait très vite un auteur très populaire dans une France encore majoritairement rurale.
En 1921, il reprend à l'identique pour le camembert Saint-Hubert des établissements Couillard à Nancy le dessin d'une vache hilare, dessin qu'il avait produit pour servir d'emblème pendant la guerre de 14/18 au régiment de Léon Bel, vache alors nommée "La Wachekyrie".
Séduit par cette vache qui rit et anticipant tout le potentiel de communication qui s’y attache, Léon Bel dessinera lui-même en 1922 une étiquette représentant un tel animal. Mais n’est pas illustrateur de talent qui veut ; il fera très vite redessiner sa Vache qui Rit par des illustrateurs confirmés. Après quelques hésitations, il optera pour le dessin de Benjamin Rabier qu’il achètera pour la somme de 1000 francs. Benjamin Rabier est alors âgé de 59 ans et est au faîte de sa gloire. La couleur particulière de cette vache, son rire franc et ses boucles d'oreilles singulières joueront un rôle déterminant dans son succès.
Pour Léon Bel et sa société, l’acquisition et la maîtrise des droits d’utilisation de la Vache qui Rit furent longues et laborieuses. Il dut d’abord racheter en 1923 les droits de « La vache rouge » contemporaine de la Vache qui Rit et déposée à son insu par son imprimeur. En 1928 la Laiterie St Hubert inscrivit sur son étiquette de camembert la mention « La vache qui rit » ; d’abord de façon discrète puis en titre, enfin celle-ci se lança dans la production de fromage fondu pour finalement y renoncer et abandonner en 1948 l’utilisation « La Vache qui Rit ». Elle conservera cependant sur ses étiquettes de camembert le dessin de Benjamin Rabier que les Fromageries Bel rachèteront en 1956.
De leur côté les Fromageries Grosjean à Lons-le-Saunier exploitent un fromage pour tartine « La vache du Jura » dessinée elle aussi par Benjamin Rabier. Non sans arrière pensée cette vache du Jura deviendra « La Vache Sérieuse ». les choses auraient pu en rester là sans l’agressivité commerciale déployée par Grosjean qui, non content de reprocher à Bel sa « Vache Heureuse » qui viendrait concurrencer sa « Vache Sérieuse », décline le slogan : « La Vache Sérieuse, on la trouve dans les maisons sérieuses » ou encore ce commentaire d’un film publicitaire des années 50 « Le rire est le propre de l’homme, le sérieux, celui de la vache ».
Cette agressivité leur sera fatale. A l’issue du procès que Bel leur intente en 1954, la société Grosjean est condamnée à abandonner « La Vache Sérieuse » qui deviendra « La Vache Grosjean » (comme devant !) ou « La Bonne Vache ». On trouvera même plus tard, suprême ironie, une vache Grosjean mâchant une fleur et arborant un sourire ou encore une vache Sidonie, toujours de Grosjean, arborant elle aussi un sourire. Désormais les Fromageries Bel protègeront leur marque en déposant tous les sentiments et toutes les expressions possibles accolées à une vache.
La Vache qui Rit de Benjamin Rabier connut très vite un grand succès. La rigolade étant désormais considérée comme un gage de réussite, on vit fleurir un peu partout dans les crémeries et sur les étiquettes des vaches arborant un large sourire ou riant aux éclats. On notera une vache rouge qui sourit dans un décor très proche de l’étiquette de Benjamin Rabier.
Les imitations ne se limitèrent pas seulement aux vaches rieuses, il y eu « La Gosse qui rit », « La Crémière qui rit », Le Singe qui rit , lui, une autre production des Fromageries Bel ne connaîtra pas le succès de sa vache et deviendra Kiri le fromage des gastronomes en culotte courte, slogan de Philippe Wolff en 1967. Benjamin Rabier, toujours lui, dessinera pour une marque de saucisson « Le Cochon qui rit ».
Parmi les autres étiquettes dessinées par Benjamin Rabier, citons « Le Veau qui pleure » qui lui aussi aura ses imitateurs, un autre « Veau qui pleure » : « Le Veau qui se lamente ». En renouant avec la faconde de ses fables de La Fontaine il dessina la très belle étiquette pour le fromage de Sauvigny représentant un corbeau et un renard.
Un dernier clin d’œil aux copies concurrentielles, cette amusante étiquette de Pont Cardinal qui suppose une supériorité hiérarchique au Pont Lévêque.
Michel Coudeyre [Camembert-Museum le 08 avril 2011]
Bibliographie : La Chevauchée de la Vache qui rit – éditions Hoëbeke 1991 Le Club des Directeurs Artistiques – bilan 1968/1969 & Bel, l'Empire secret du fromage. Le Point, 29 octobre 2015.
Date de dernière mise à jour : 16/02/2020