Bigeon-Masseron (Champsecret 61)
FROMAGERIE BIGEON – MASSERON [CHAMPSECRET 61] par Gérard Clouet.
Au moment de son mariage en 1833 avec Marie Desmonts, Michel Bigeon exerce à Champsecret (61) un métier pour le moins peu commun dans une commune du bocage ornais, celui d'affineur d'or*1. Le couple habite au hameau « du Tertre », où Michel est journalier, quand naissent ses deux enfants : Dominique en 1841 puis François en 1847. Leurs deux garçons vont devenir fabricants de fromages, le premier, Dominique, au « Tertre » et le second, François, au Hameau « du gros Douet du moulin ».
Dominique Bigeon, l'aîné, se déclare cultivateur en 1865 au moment de son mariage avec Euphrasie Villette. Le recensement de 1881 confirme qu'il exerce ce métier au « Tertre ». Mais lors de celui de 1886, Dominique Bigeon mentionne être fabricant de fromage, sa femme selon la formule consacrée de cette époque « s'occupe du ménage » et son fils Antoine né en 1867, est cultivateur avec ses parents. La production de fromage est assurée sous la marque « Bigeon Dominique ». L'ensemble de la famille s'affaire au métier de fromager en 1891, Dominique est fabricant, sa femme et son fils sont aides fabricants, tout comme Armand Gossin 19 ans. Auguste Chauvière 26 ans, est laitier. Deux domestiques complètent le personnel de la ferme. Maria Bigeon, la fille cadette du couple, née en 1871 prend comme époux en 1892 Eugène Bonhomme marchand de fromage originaire de la Chapelle Biche 61). Pour ce qui le concerne, Antoine Bigeon, au moment de son incorporation en 1888 pour 3 ans au 26ème régiment d'artillerie du Mans (72) affirme être fabricant de fromage.
Reçu datant de juin 1893 : Nous avons le détail des livraisons de lait faites quotidiennement par Monsieur Amyot, de la Ferté-Macé. Ce dernier reconnait avoir reçu de la fromagerie Bigeon la somme de 635 francs..
Profession qu'il pratique encore lorsqu'il épouse en 1893 Anne Corvée. Son beau-frère témoin lors de son mariage est toujours marchand de fromage mais à la Chapelle aux Moines (61) où il décède en 1894. Le jeune couple s’installe avec les parents Bigeon. En 1896, Dominique et son fils Antoine sont de nouveau recensés en tant que fabricants de fromage avec l'aide d'un laitier Isidore Lebbey. Ils obtiennent en 1897 un grand diplôme d'honneur à Paris pour leur camembert. Les étiquettes apposées sur leurs productions font état de 4 médailles or et argent sans plus de précision. Ensuite le devenir de la fabrique semble s'arrêter avant 1901 puisque cette année-là Dominique indique seulement qu'il est propriétaire. Son fils Antoine n'habite plus Le Tertre. Rentier en 1911, Dominique décède en 1919.
François Bigeon, le cadet, est rappelé à l'armée lors de la guerre de 1870-1871. Il se marie en 1874 avec Angèle Masseron (1858-1937) du hameau voisin du Gros Douet du Moulin. Le père d'Angèle étant décédé en 1866, le jeune couple emménage dans la ferme familiale -construite en 1822 - tenue par Marie Chesnais sa veuve. Lors de la naissance de chacun de ses trois premiers enfants Charles en 1876, Dominique en 1879, Alice en 1886, François Bigeon stipule être cultivateur. Par contre en 1886 à l'occasion de la naissance de leur dernier enfant Madeleine il exerce la profession de fabricant de fromage, ce que confirme le recensement de cette même année. Pour se distinguer de son frère Dominique, François produit des camemberts et un peu de pont-l'évêque sous la marque « Bigeon-Masseron ». En 1888 un fait divers atteste de cette nouvelle activité. Le journal de La Ferté-Macé r «le meurtre à deux kilomètres du bourg de Champsecret, de Melle Rose Turbout 63 ans, qui livrait du lait à la fromagerie Bigeon et qui s’y rendait régulièrement»*2.
Cette activité de fabrication de fromage semble prospérer puisqu’en 1891 la fromagerie emploie deux aides fabricants Virginie Lafontaine 24 ans et Auguste Chauvière 24 ans dont le frère Pierre 19 ans est laitier. La qualité des fromages est récompensée à plusieurs reprises : Tours 1893, Nevers 1895, Bordeaux 1896, Tours 1896. Une première fromagerie est sans doute construite à cette époque comprenant au rez de chaussée l'atelier de fabrication et un hâloir à l'étage. La fiche de renseignement militaire du fils cadet Dominique signale qu'en 1902 il pratique la profession de fabricant de fromage. Son frère aîné, et ses sœurs cadettes poursuivent leurs études. En 1906, seul François est mentionné en tant que fabricant de fromage et la ferme compte 6 domestiques sans que leurs fonctions exactes soient précisées.François Bigeon est partie prenante de l'accord verbal de non concurrence passé en 1906 entre les fromagers du secteur (Barré, Blanchet, Hochet et Langlois)*3.
Le recensement de 1911 signale à nouveau que, tout comme son père, Dominique Bigeon est fabricant de fromage et emploie 4 domestiques. Cette même année à Jean Lavalou qui la sollicite pour acheter des camemberts la famille Bigeon-Masseron répond : « J'ai bien reçu votre dépêche hier soir mais en vous répondant, je ne m'attendais pas à une aussi forte commande car en ce moment je ne peux pas y répondre. Je pourrais vous en expédier 3 ou 4 caisses la semaine. J'ai très peu fabriqué en été. Je ne peux donc vous en faire expédier avant 3 ou 4 jours ».*4 Dans ses années 1900-1914, sans qu'il soit possible d'en préciser la durée Dominique Bigeon dispose d'un dépositaire exclusif au Havre : A.Lesecq qui commercialise sous son propre nom les camemberts de la marque : « Grande fromagerie de l'Orne ».Bien que réformé pour tuberculose, Dominique Bigeon est quand même rappelé sous les drapeaux en 1915 et affecté en octobre d'abord au 3ème régiment d'artillerie d'artillerie à pied puis en novembre au 81ème régiment d'artillerie lourde (RAL) et enfin en septembre 1917 au 83ème RAL. Son état de santé précaire lui vaut d'être évacué malade à plusieurs reprises dans des hôpitaux à l'arrière. C'est cette santé fragile qui explique qu'à son retour du front il n'ait pas eu les forces nécessaires afin de poursuivre les activités au sein de la fromagerie. Il décède en 1930 à 51 ans.
Le relais est pris par le petit-fils Gabriel Bigeon né en 1910 qui décide de reprendre le flambeau en mettant à profit l'expérience de sa grand-mère pour relancer l'activité en 1935. Une extension est ajoutée au bâtiment de la fin du XIXème Elle comprend un nouvel atelier de fabrication neuf et un grand hâloir à l'étage permettant de bénéficier de meilleures conditions de travail. Un quai de déchargement est construit et une porcherie aménagée au rez de chaussée de l'extension. Gabriel dépose le 28 août 1935 un modèle d'étiquette « Le Super Bigeon ». 4 à 500 camemberts sont fabriqués chaque jour sous cette marque mais aussi sous l'étiquette emblématique de la famille Bigeon-Masseron dite « La Marque Bleue ». La production est diffusée localement, en Normandie, dans le Maine, l'Anjou, la Bretagne et sur Paris*5.Cette production lui vaudra en 1937 une médaille d'or au concours général de l'agriculture de Paris et d'être classé hors concours en 1938*6. À la collecte du passé en voiture à cheval succède le ramassage en camion comme en témoigne l'annonce suivante parue en 1938 dans l’Ouest-Eclair : « On demande chauffeur toutes mains, bonnes références exigées, s’adresser à Fromagerie Bigeon (Champsecret, Orne). Envoyer copies certificats et prétentions à première lettre. »*7 Habitant à Domfront, Gabriel Bigeon fait chaque jour les aller et retour jusqu'à la fromagerie. Pendant la guerre l'occupant allemand installe dans un des garages de la fromagerie une charcuterie de campagne pour ses troupes locales. Les difficultés d'approvisionnement en essence conduisent à devoir utiliser des camions fonctionnant au gazogène. Les expéditions de fromages en direction de Paris sont effectuées à partir de la gare de Briouze. Pressentant les difficultés à venir, Gabriel Bigeon décide en 1954 de cesser son activité et vend sa clientèle de lait à Roger Pommel qui a créé la fromagerie SOLANO (Société Laitière Normande) à la Chapelle Moche. Il met à profit le fait d'avoir poursuivi ses études secondaires pour se recycler en devenant agent d'assurance pour « La Paix ». Il décède en 1995 à 85 ans.
Sources : Entretien avec Françoise Lescaret 2017. *1 l'activité d'affineur d'or a été, semble-t-il, une activité spécifique au milieu du XIXème à Champsecret . Une partie des jeunes qui exerçaient ce métier auraient migré en Angleterre. *2 Communication Serge Schéhadé *3 Plainte veuve Barré contre Blanchet. Cour d'appel de Caen 4 avril 1910. Communication S.Schéhadé 2017. Voir Notice Barré Rigaud du même auteur. *4 Fonds Lavalou 243 J AD61 *5 La France économique et financière 1937 *6 Ibid *7 Communication Serge Schéhadé
Gérard Clouet [Camembert-Museum, première publication le 09 avril 2018]
Date de dernière mise à jour : 10/12/2018