Fromagerie de Cambercourt (Berjou 61)
La fromagerie de Berjou a été créée à la fin du XIXème siècle par Lucien Martin qui l'a vendue au début du XXème à la Société Laitière des Fermiers Normands. Cette dernière l'a cédée en 1955 à la société Vallée. Elle est fermée en 1997 par le groupe Besnier après qu'il ait acquis l'ensemble de la société Vallée.
FROMAGERIE DE CAMBERCOURT, À BERJOU, UN SIÈCLE D'HISTOIRE LAITIÈRE ET FROMAGÈRE par Gérard Clouet.
Les Créateurs : 1893-1898.
Lucien Martin (1863-1927) est né à Saint Pierre d'Entremont (61) au village de La Noirée d'un père fileur de coton et d'une mère tisserande. En 1883 il exerce lui aussi le métier de fileur.Il est dispensé de service militaire sa mère étant veuve avec quatre enfants. En 1885 il épouse Désirée Lallier ( 1858-1924) originaire d' Ernes (14) où son père est journalier. Lucien Martin séjourne en 1885 à Boissey, commune où exercent déjà à cette époque de nombreux fabricants de fromages (Roussel, Serey, Lebourgeois...). Ses deux premiers enfants, Fernand (1886-1955) et Yvonne (1888-1978) naissent à Ernes qui n'est qu'à une quinzaine de kilomètres de Boissey et où un autre fromager pratique à la ferme de la Cavée : Charles Guillemin. Il est, a priori, plus que probable qu'il y ait appris le métier de fromager lors de ce séjour dans le Calvados. En 1890, il revient dans l'Orne et s'installe sur une ferme au lieu-dit le Bois de Flers où il se met à fabriquer du fromage. Lors de la naissance de sa fille Camille à Flers (61) en juillet 1891, Lucien Martin se déclare effectivement fabricant de fromages au lieu-dit « le bois de Flers ». Un des témoins de cette déclaration de naissance est Romain Lecocq - un parent du coté maternel habitant rue de la banque à Flers -qui indique également être fabricant de fromage . Comme le démontre une publicité qui sera abordée plus loin, leurs fromages obtiennent des récompenses dès 1891 et 1892 .
Cependant le métier de fromager est aussi exposé à quelques vicissitudes si on en croît le journal de Flers et de l'arrondissement de Domfront du 28 novembre 1890 : "Dans les campagnes du canton de Flers on s'imaginerait volontiers qu'on trouve du lait pur. Eh bien, fiez-vous y donc! Le sieur Martin, fabricant de fromages au Bois-de-Flers, en sait quelque chose. En effet, le sieur Martin est obligé d 'acheter beaucoup de lait pour son industrie. S'il se trouve dans ce lait quelque addition d'eau, ses fromages subissent une dépréciation notable qui se traduit par une perte sèche pour le fabricant. On comprend donc que le sieur Martin ait vu d’un assez mauvais œil, cette habitude fâcheuse de mouiller le lait. Il déposa une plainte à la gendarmerie. Ces jours derniers la gendarmerie se transportait au domicile d'une femme Mesnard, aubergiste à la Fouillée, commune de la Bazoque et pesait en présence d’un client le lait livré par la femme Mesnard à ce client. Le lait n'atteignait pas le degré voulu et fut saisi. La gendarmerie se rendait ensuite chez une veuve Rouer, du village de la Foretterie-Caillot, à Cerisy-Belle-Etoile, chez laquelle la même opération a été faite, avec les mêmes résultats. De même, chez la femme Durand, cultivatrice à Caligny. Au lieu de 28 au galactomètre comme le lait pris au pis des vaches chez chacune des délinquantes, le lait confisqué marquait 23, 24 et 25. Voilà une opération très utile faite ainsi par la gendarmerie, et personne à Flers ne la regrettera. On paie le lait assez cher pour qu'on ne nous le vende pas baptisé. Il va sans dire que procès-verbal a été dressé contre ces femmes peu scrupuleuses et il faut espérer que le tribunal leur ôtera l’envie de recommencer. Avis aux autres ».
Lucien Martin et Romain Lecocq créent à Flers en 1893, une société en vue de fabriquer du fromage et louent à Berjou l'ancienne filature de coton dite de Cambercourt construite vers 1847 par Jean de La Ferté dans la vallée du Noireau et dont l'activité a cessé vers 1880 *1 . Henry Dufay prend la succession à la ferme du Bois de Flers et y fabrique lui aussi du fromage. À l'instar de celles de Flers, les productions réalisées à Cambercourt sont rapidement distinguées par des prix en 1894,1895 et 1896. Parmi les différentes étiquettes utilisées pour distinguer les productions de Berjou, une d'entre elles est au nom de sa femme Désirée Lallier avec la mention: « Camembert des fromageries de Cambercourt Athis ». Pour le moment aucun document d'archive ne permet de confirmer ou d'infirmer que le couple Martin-Lallier ait exploité en même temps que celle de Cambercourt une fromagerie localisée à Athis.
Un premier repreneur la Société Laitière des Fermiers Normands : 1898-1955.
Malgré ces réussites les affaires sont difficiles.Le journal de l'Orne du 20 mai 1899 annonce dans la cadre de la succession de Dominique François Orgeval représentant de commerce résidant rue Traversière à Argentan (61) et décédé à Flers le 21 octobre 1898 la vente par adjudication en l'étude de Me Hélie notaire à Argentan de créances dont une concerne : « un sieur Lucien Martin marchand de fromage à Berjou en état de faillite étant environ de 26,95F ».Soit un peu plus de 10 300€. Voici donc pourquoi la Société Laitière des Fermiers Normands (SLFN) rachète en octobre 1898 le fond de commerce de Lucien Martin et Romain Lecocq. Dans le même temps, elle reprend également à son compte le bail.
La SLFN créée le 10 mai 1897 à Gournay-en-Bray a son siège social à Bernières-d'Ailly. Elle va posséder plusieurs laiteries-fromageries dans le Calvados (Jort, Couliboeuf, Le Fief Nouvelle) et une en Seine Martime ( Gournay en Bray). En mai 1901, le conseil d'administration de la SLFN décide d'acquérir les bâtiments de la filature de Cambercourt *2. Paul Vignoboul son directeur entre en pourparler avec les héritiers du créateur de la filature. L'affaire est conclue le 1ier juin 1901 pour 25 000F*3 soit un peu plus de 9 600 000€. Des travaux sont entrepris pour rendre les locaux plus adaptés aux besoins d'une laiterie fromagerie. C'est à cette occasion que les fenêtres du premier étage sont rescindées pour créer un hâloir.C'est aussi de ces premières années 1900 que date l'inscription peinte entre le premier et le second étage de l'usine: USINES à BERNIERES d'AILLY COULIBOEUF( CALVADOS) BERJOU (ORNE) sur la façade sud SOCIETE LAITIERE des FERMIERS NORMANDS à l'est. De nombreuses cartes postales en témoignent tout comme elles montrent pour certaines d'entre elles que le lait était collecté par des carrioles.
Deux affiches publicitaires de la SLFN imprimées par Grange-Orgeval et Guy ,donc antérieures à 1906, sont consacrées à la fromagerie de Berjou dont une indique que Lucien Martin en est le directeur.Chacune fait état de récompenses, toutes obtenues dans de nombreuses expositions avant la reprise par la SLFN: Saint Servan (35) 1891, Paris 1891,1892,1895, Bordeaux 1896, Marseille 1894,1896, mais aussi Saint Pierre sur Dives (14) et Athis de l'Orne sans que les dates en soient précisées. L'obtention de ces 10 médailles est par ailleurs mentionnée sur deux étiquettes à « la Normande en coiffe » de Lucien Martin à Berjou.
Les premières médailles obtenues datent effectivement de 1891 et 1892 et renvoient donc à l'époque de la première installation de Lucien Martin au « Bois de Flers » et les autres à son installation à Cambercourt à partir de 1894 jusqu'en 1896. A cette époque la mention des prix et des récompenses est couramment pratiquée par tous les producteurs qui exhibent leurs médailles sur leurs étiquettes. La SLFN n'hésite pas à reprendre à son profit ces distinctions qui lui fournissent une publicité à bon compte.
Date de dernière mise à jour : 14/09/2020