Gehan Odette & Maurice (Les Moutiers-Hubert 14)
GEHAN ODETTE & MAURICE [ FERME LA COUR, LES MOUTIERS-HUBERT 14]
Les Moutiers-Hubert est un charmant petit village de 49 âmes niché dans une vallée où serpente le fleuve côtier " La Touques ".
Celle-ci arrive à l'embouchure de la mer entre Trouville-Deauville, ce fleuve sépare ainsi les deux villes et fait également partie du réseau «Natura 2000». On peut voir à la mairie le dernier loup naturalisé tué dans le massif forestier en 1868, animal mythique dans les forêts du pays d'Auge, car un procés verbal atteste que l'oreille et la patte de chaque animal tué sont coupées en présence du maire. Sur la "Touques" se trouvait un moulin à blé (1833) démoli en 1860. Il est remplacé par une fabrique de papier à base de chiffons. L'énergie était produite par un barrage sur le fleuve. L'usine perdure jusqu'en 1918 et employait une centaine d'ouvriers. Le manoir de Chiffretot construit en pans de bois emblématique du Pays d'Auge, date du XVI éme siécle. Non loin se trouve un pigeonnier (1605) carré édifié en pierre de taille (l'un des seuls du Pays d'Auge). Un prêtre y fut emprisonné pendant une vingtaine d'années (propriété privée). Du Prieuré des Houlettes (Sa fondation est probablement antérieure au X éme) subsiste seulement une croix. Les parents déposent des chaussons, chaussettes de leurs enfants qui tardent à marcher.
Maurice GEHAN (1911/1978) et son épouse Odette DOREY (1911/2011) mariés à la Brévière (14) s'installent à la ferme « La Cour » aux Moutiers Hubert, dans le Calvados en 1939. Odette a étè initiée par son grand-père Gustave FORTIER (1861/1944) qui fabriquait dans une ferme voisine du livarot qu'il livrait en blanc. Il a été tué en même temps que sa femme lors des bombardements du village des MOUTIERS-HUBERT en 1944. La ferme " La Cour " est léguée à Odette en héritage de sa grand mère maternelle Philomène DOREY (1885/1981). La production laitière est assurée par une quinzaine de vaches laitières élevées sur une petite exploitation de 20 ha. Elles produisent une centaine de litres de lait par jour, les époux GEHAN sont secondés dans les travaux de la ferme par leur fils Bernard GEHAN juqu'à son mariage en 1960. Toute la production est employée à la fabrication de livarot livrés en blancs et ainsi qu'à la fabrication de beurre. Le livarot est fabriqué tous les jours à partir de lait cru, à raison d' une douzaine de livarots par jour. Le restant du lait produit est écrémé pour faire du beurre.
Le bâtiment servant à fabriquer le livarot, la crème puis le beurre, est juxtaposé à une source intarissable qui descend de la colline en amont de l'exploitation elle aboutit à un lavoir qui sert pour différents usages pour la fromagerie. Une petite buanderie donne sur le lavoir. Elle est équipée d'un chaudron en fonte d'environ 200 litres chauffé au bois (provenant des bois de Maurice GEHAN et son épouse). L'eau chaude est utilisée pour le nettoyage de l'écrémeuse, des moules en fer, et d'autres petits matériels. Le rinçage se fait au lavoir : pas de frais pour l'eau puisqu'elle est gratuite, potable, et surtout à portée de main. À l'intérieur du bâtiment un long couloir dessert les espaces utilisés pour la fabrication du livarot et du beurre. Pendant la Guerre 1939/45, faute de carburant le beurre est fabriqué à la baratte à main, Le lait est mis dans des jattes en grès d'environ 6 à 8 litres. Le matin, on prélève la crème pour la mettre dans des pots, puis transvasée dans la baratte à beurre. Le lait du soir, non écrémé, est mélangé avec du lait du matin.
Après la guerre, Maurice GEHAN et son épouse investissent dans une écrémeuse à moteur essence (Alfa -Laval) et une baratte également à moteur essence (Bernard). Deux dalles en bois d'environ 4 à 5 m de long sont installées, avec un rebord de 10 cm de pente pour faciliter l'égouttage des fromages sur des pieds en briques de pays. Des trous d'aération se trouvaient en haut du mur du bâtiment au bout ; Ils sont invisibles aujourd'hui car ils ont détruits pour édifier une réserve à bois.
Une canalisation en terre cuite est construite à partir de la fromagerie vers la porcherie, située en contre-bas de la ferme. Cette canalisation achemine le sérum de l'écrémage. Il arrive dans un bassin en briques cimentées d'une contenance de 200 à 300 l. Odette, Maurice ou Bernard GHEAN soutirent le sérum avec des seaux pour le déverser dans des bacs pour l'alimentation des porcs. On ajoute à ce sérum à de l'orge transformée en farine pour leur nourriture. La vente des porcs ajoute un revenu substentiel à l'exploitation. Les livarots blancs sont livrés à la laiterie Graindorge à Livarot (14), le beurre est vendu sur le marché de Livarot tous les jeudis à un grossiste Monsieur MARQUANT ou à la laiterie GAUTIER de LISIEUX (14) dont la spécialité est la fabrication et la revente de beurre fermier.
La fabrication du livarot et du beurre s'arrête en 1958, mais le lait continue à être vendu à la laiterie Graindorge à Livarot jusqu’en 1970. Odette Gehan suite au décès de son époux continue à résider dans l'habitation de la ferme. Elle loue tous les terrains à des fermiers voisins. Et comme elle n'a pas son permis de conduire, après le décès de son époux elle conduisait le tracteur de la ferme pour aller faire ses courses au village voisin. Elle est décédée deux jours avant d'atteindre ses cent ans...
Sources: (1) Entretiens avec Bernard GEHAN en Mai et Septembre 2017.
(2) Le patrimoine des communes du Calvados: Basse-Normandie -Editions Flohic- tome II Page 1118
Joëlle Chéruel-Philippe, Janvier 2018 [Camembert-Museum, première publication le 20 janvier 2018.
Date de dernière mise à jour : 11/10/2020