Préel Jules, Fromagerie de Boucé (Orne 61)
À Boucé, sur la Cance, un établissement comprenant un fourneau, une forge à trois feux, et une fenderie, produisait en 1771, 200 tonnes de gueuse et 130 de fer. Antérieure à 1692, cette usine appartenait depuis 1736 au moins à Joseph-René de Gastey, seigneur de Boucé qui, fait unique dans la région, la faisait valoir lui-même en 1771. En 1789, elle était dirigée par un régisseur, François Fayet-Delongrais : la production de l’usine qui employait 90 ouvriers était alors de 170 tonnes de gueuse et 150 de fer. Éteinte en 1798, elle fut remise en activité en 1812. A partir de 1816, elle était entre les mains de Guérin-Beaupré qui en était à la fois le propriétaire et l’exploitant. (Source : G. Richard, Annales de Normandie, 1963). C’est sur les lieux de cette usine séculaire que va s’installer la fromagerie Préel.
LAITERIE FROMAGERIE PRÉEL, BOUCÉ, [61AE] par Gérard Clouet.
Avant la seconde guerre mondiale Jules Préel (1894-1974) agriculteur à Boucé collectait sur les marchés du beurre et des œufs. Le beurre après malaxage est conditionné en caisses de 25 kg ou en paquet de 250g puis expédié à partir de la gare d'Argentan vers Paris et le Nord pour les négociants en gros et de détail*1 . La beurrerie Préel ainsi que la vente en gros des œufs sont mentionnées dans les annuaires professionnels en 1934, 1936 et 1938.*2
André Louis Préel (1923-1988) prend en 1945 la succession de son père.
En 1949, il rachète les bâtiments désaffectés des anciennes forges appartenant à Guérin-Beaupré pour créer une laiterie et fabriquer directement du beurre*1. Au tout début les premiers litres de lait récoltés sont recédés à la fromagerie Mallet d'Alençon. Mais l'apport mensuel de 500l de lait provenant de la ferme du comte de Montesson de la commune voisine de Francheville va changer la donne.Dès 1950 André Louis Préel décide de se lancer dans la fabrication de camembert et pour ce faire sollicite l'aide d'Henri Leblanc (1895-1980) un ancien fromager de la laiterie-fromagerie Lavalou de Sérans,retiré à quelques kilomètres à Vieux-Pont.Il va former sur le tas aux techniques de fabrication du fromage le jeune Hubert Lavigne embauché en février 1950 . Il sera le maître fromager de l'entreprise jusqu'à son départ en mars 1962. Il est alors remplacé par Joseph Rubini originaire des Vosges qui exerçait cette fonction à la laiterie-fromagerie Marguerite de Saint Sauveur de Carrouges dont André Préel reprendra le personnel au moment de sa fermeture quelques temps après.
La montée en puissance de la laiterie dépend de ses possibilités de se fournir en lait.Pour assurer un approvisionnement stable et régulier de la laiterie, la collecte s'organise. Au début elle s'effectue avec un camion à gazogène et un camion Hotchkiss.
Les premières années 200 à 300 fromages sont fabriqués quotidiennement. L'extension des locaux va se faire sur place au fur et à mesure de l'accroissement de la production. Dans les années 60, 40 000 litres de lait sont récoltés chaque jour par une dizaine de camions dans les environs de Boucé, de Mortrée et de Moulins la Marche qui permettent la fabrication de 4000 l de crème, 2 tonnes de beurre.
En 1959 les efforts de qualité sont récompensés puisque les établissements Préel obtiennent une médaille de bronze au concours général agricole de Paris pour leur camembert au lait cru.
Cependant l'entreprise familiale n'a pas les assises financières suffisantes pour construire la tour de séchage qui lui permettrait de valoriser le lait résiduel et tirer meilleur parti des sous-produits de la laiterie fromagerie.
Pour mieux asseoir l'équilibre économique de son entreprise, André Louis Préel recherche des solutions en se rapprochant de plusieurs gros producteurs dont Besnier et Bridel. L'accord sera trouvé en 1965 via la SCABA (3) qui a été reprise par Elle et Vire du groupe Union Laitière Normande. Celle-ci intègre l'ensemble des producteurs, la flotte de camions de ramassage et les chauffeurs de Préel. En contrepartie il lui est assuré la fourniture quotidienne de 10 à 12 000 litres de lait ,et 8 à 10 000 litres de crème à partir de l'usine de Craménil qui permettent à la quarantaine d'ouvriers des EPB (3) de fabriquer 6000 camemberts et 4 tonnes de beurre.
Les fromages sont vendus à des mandataires de Rungis et à des négociants B.O.F (4). Les Economiques de Rouen se font livrer régulièrement une centaine de caisses contenant chacune 60 camemberts de la marque « Aux Trois Etoiles ». Dans le contrat passé avec l'ULN, le prix du lait fourni est indexé sur le prix du pétrole et les livraisons sont payables à 90 jours.
Jusqu'en 1969 l'affaire fonctionne sans difficulté mais à partir de cette date les cours mondiaux du pétrole en raison des conflits du Moyen-Orient vont rapidement flamber et déséquilibrer les comptes de l'entreprise.La renégociation du contrat de 1963 est refusée par l'ULN et l'entreprise créée par André Louis Préel est liquidée en janvier 1970, victime comme beaucoup d'autres entreprises familiales de la course à la massification des productions lancée par les grandes entreprises industrielles.
(1) L'homme qui n'a pas eu le temps d'être vieux. Marie-Christine Préel.Edilivre. 2015.p72-73 et 96-97
(2) Les marques de l'industrie laitière 1934 p34, 1936 p36. Annuaires des industries du lait 1938 p113.
(3) Société coopérative beurrière d'Argentan. Voir notice SCABA de Serge Schéhadé.
(4) Établissement Préel Boucé.
(5) Beurre Œufs Fromages.
Sources: Entretiens avec Georges et Jean-François Préel, Hubert Lavigne 2015 et 2016.
L'HISTOIRE VRAIE DU « VRAI »
André Préel n'aimait pas les gens occupés "à ne rien faire" et c' était aussi valable pour ses enfants. En 1961, alors que sa fille Marie-Christine avait quitté son pensionnat pour se soigner quelques jours à la maison, pour occuper utilement son temps il lui passa commande d'une illustration pour une étiquette de camembert. Seulement armée de l'expérience de ses 14 ans, elle s'attela au cahier des charges : une table chargée devant une fenêtre ouverte donnant sur un verger avec une vache normande.....Puisant çà et là son inspiration elle s'acquitta de ce projet en livrant la vue désirée réalisée à la gouache aquarellée ….et guérie regagna son pensionnat. Le projet fut finalisé par l'imprimerie Debar de Reims. Il existe deux variantes de cette étiquette ; l'une avec la marque Préel Boucé Orne et l'autre estampillée « Le Vrai » AE 61.
En 1969, la fromagerie Préel va obtenir une médaille de bronze au Concours Général Agricole de Paris pour son camembert au lait cru.
Date de dernière mise à jour : 12/02/2023