Robat Albert, Ferme Modèle de La-Grange-le-Comte, Laiterie, Fromagerie, Auzéville-en-Argonne (55).
ROBAT ALBERT, FERME DE LA-GRANGE-LE-COMTE, AUZÉVILLE (55).
Albert Robat est né le 25 juillet 1849 à Rarécourt, dans la Meuse. Il était propriétaire exploitant de la ferme modèle de La-Grange-le-Comte, un domaine de 120 hectares comprenant une belle demeure, des logements ouvriers, étables, écuries, une laiterie pouvant transformer jusqu’à 5000 litres de lait par jour, une fromagerie où l’on fabriquait un excellent fromage de brie, des caves d’affinage. Il était aussi Président de la Société d’Agriculture de Verdun (Meuse) . Le 14 mai 1879, il épouse Marie Mathilde ANTOINE à Auzéville. Deux filles sont issues de ce mariage : Marie Jeanne Amélie née en 1880 et Marie Madeleine, née en 1886.
Dans l’Âme Meusienne, Ernest Beaugitte (1869-1935), après une visite de la ferme modèle de M. Robat en 1904, nous décrit dans le détail le lieu et l’activité qui s’y déroule : « C' est à la lisière des vertes forêts d' Argonne, dans un frais vallon où courent deux ruisselets ombragés d' aunelles, que se dressent les bâtiments de cette ferme modèle. La route départementale de Bar-le-Duc à Neuvilly, aujourd'hui veuve des beaux arbres de jadis, est toute proche, et le chemin de fer aussi – un minuscule chemin de fer à voie étroite, qui abat carrément ses vingt kilomètres à l' heure, et qui siffle si drôlement, et si pacifique ! Et des villages aussi sont tout voisins : Rarécourt, qui fut une petite république et dont l' histoire est bien curieuse ; Auzéville, ceint d' oseraies, assis au bord de l' Aire, dans la riche prairie : Clermont, villette plus que village, fière de ses rues pavées, de ses maisons cossues, de sa pittoresque promenade de Sainte-Anne, jadis couronnée d' un orgueilleux château-fort. Mais La Grange-le-Comte se tient à l' écart, à un kilomètre de la vallée d' Aire, un peu plus près de la route, dans un pli de terrain qui la dérobe presque aux yeux des touristes et des passants, comme pour lui laisser tout l' agrément et toute la saveur de sa solitude rustique. Un chemin creux y mène, ombragé de peupliers chuchotants. Et nous voilà dans la plus vaste exploitation culturale d' une contrée où les fermes sont rares, où les domaines sont étrangement morcelés, où les propriétaires ont ici, là, plus loin, de menus trapèzes, de menus rectangles, de menus carrés de terrain.
S' il n' était aussi modeste, le maître de la Grange-le-Comte, M. Albert Robat, s'enorgueillirait d' un tel domaine. Ces champs à perte de vue, ces champs de blé où le vent chaud de juillet fait courir une houle blonde ; ces champs d' avoine dont les épis frémissent délicatement ; ces pacages à l' herbe drue, clôturés de fils de fer et de ronce artificielle, où, des premiers effluves tièdes d' avril aux premiers brouillards, aux premières gelées blanches, aux premières bises aigres d' octobre, paissent vaches et chevaux – tout cela est à lui. C' est lui qui, ses grades conquis au lycée, puis à l' École de droit, assez riche pour vivre largement en touchant ses coupons, mais estimant que l' homme n' a pas le droit de rester oisif, n' a point dédaigné de mettre au service de l' agriculture les ressources de son intelligente activité. Depuis vingt années, à force d' expériences et de recherches, bouleversant parfois les procédés de culture en usage dans le pays. Il a fait, de deux ou trois cents hectares de terres de qualité secondaire, des terres de rendement productif. Plus d' un gros fermier normand, plus d' un propriétaire terrien d' Angleterre ou d' Écosse jalouserait certes l'heureux possesseur de La-Grange-le-Comte. Légitime envie ! En ces pacages vivent plus de trois cents vaches – un régiment de vaches de toutes robes et de toutes races, bonnes bêtes aux mamelles lourdes de lait : des rouges , des noires, des blanches, des café au lait , des mouchetées ; des bretonnes , des normandes, et des races qu' il est permis à un citadin d' ignorer. Nul autre éleveur français ne saurait, je crois bien, se vanter de posséder autant de bêtes à cornes . Vous jugez de la quantité de lait que, matin et soir, peuvent fournir tous ces pis ! Vous vous faites aisément une idée du nombre de kilogrammes de beurre fin, de délicieux fromages, concurrents du meilleur Camembert et du meilleur Brie, qu' avec ce lait non écrémé l' on façonne à la ferme. Car tout se fait à La-Grange-le-Comte, sous l' œil attentif de M. Albert Robat. Ce diable d' homme veille à tout, il est partout. Il est dans les salles où se bat mécaniquement le beurre, où se prépare le fromage. Vous le rencontrerez dans les écuries spacieuses, largement éclairées, propres à l' égal des cuisines flamandes.
Vous le trouverez, caressant l' échine de ses porcs qui rôdent librement dans les cours, en quête d' un coin d' ombre ou d' un rais de soleil ; dans la basse-cour où les coqs, les poules, les pintades mènent un tapage étourdissant. A moins qu' il ne surveille, aux alentours, ses pelotons d' ouvriers occupés aux travaux de la terre et à la manœuvre des machines perfectionnées, rivales heureuses des bras de l' homme. Et peut-être le verrez-vous lui-même, juché sur le siège de quelque moissonneuse-lieuse. Il ne se croira point déshonoré . Dès l' aube, il est debout. S' il ne se couche pas le dernier, à la belle saison, vous êtes sûr de le trouver sur pied à l' heure où la ferme sommeille. À minuit, quelque temps qu' il fasse, que le ciel soit criblé d' étoiles ou que le vent y chasse ses rafales, M. Robat, son bâton noueux d' une main, sa lanterne de l' autre, fait le tour des écuries , des engrangements, de ses parcs à bétail, de ses « maternités » , comme il les appelle , où les vaches se débrouillent toutes seules, même au moment du vêlage ! Alors , certain que partout l' ordre règne , il se décide à regagner son lit. L' autre jour , au compatriote profane que je suis, M. Albert Robat a fait les honneurs de sa propriété. Il m' a guidé à travers le véritable village qu' est La-Grange-le-Comte . Il m' a montré – ignorant que j' en dusse parler ici – les maisons où il loge son nombreux personnel : marcaires venus de Suisse – un pays où l' on s' entend à soigner le bétail , – ouvriers agricoles, domestiques de ferme. Confortables logis. Une immense pièce au rez-de-chaussée, où la femme cuisine et où l' on couche, comme c' est la mode en Lorraine; une chambre de mêmes dimensions au premier étage, voilà pour un ménage . L' air et la lumière y pénètrent à flots. Un jardinet de fleurs est l' ornement de chaque maison dont les hôtes respirent la santé : ici, l' on ignore l' anémie et la tuberculose. Et , ma visite aux bâtiments terminée, M. Robat me conduisit derrière le château, voir ce qu' il nomme « son Tyrol ». C'est là qu' il vient rêver (mais oui, rêver) parfois, quelques minutes, quand il a le temps, dans un cirque de verdure. Le décor est sauvage à souhait, à l' orée des grands bois dont les frondaisons moutonnent à l' infini. Isolé du monde et des « vagues humanités », on écoute parler la forêt. Les soirs d' été y sont très doux et d' un grand charme mélancolique. Un angélus tinte au lointain et les cloches se réponpondent d' un village à l' autre , dans l' air subtil ; les sonnailles des troupeaux sont d' argent clair ; les ombres s' allongent démesurément; le soleil plonge dans les bois, et les cimes des arbres sont toutes roses de ses suprêmes rayons. De la cendre fine tombe du ciel et, peu à peu, noie toutes les formes. Nous revînmes à La-Grange-le-Comte. Le crépuscule d' août tombait. La ferme, accablée aux heures chaudes, se réveillait à la vie de chaque soir. De la terrasse du château où la gracieuse femme et les aimables filles de mon guide se reposaient dans le parfum des fleurs, je vis la-Grange- le-Comte s' animer. Soir biblique où le modernisme jetait sa note aiguë ! Les ouvriers rentraient, bruns de hâle, la faulx ou le râteau sur l' épaule, saluant d' un bonsoir, respectueux et cordial tout ensemble, le maître et les maîtresses de la ferme. Des femmes, la cruche à la hanche, allaient puiser aux fontaines. Les machines américaines revenaient des champs, avec un bruit de ferrailles sur les cailloux. Des chevaux hennissaient des vaches meuglaient ; les roues des chariots lourds de blé grinçaient sur la route. Une confuse rumeur montait du vallon. Toute la ferme était tumultueuse. Mais on sentait, éparses dans l' atmosphère en ce soir joli, tant de douceur et de sérénité prêtes à descendre, que l' on eût rêvé de vivre là, loin du fracas des villes, toute sa vie de labeur .
En 1911, un accident de fabrication se produit. Les excellents brie de Monsieur ROBAT, qui se vendaient si bien aux Halles de Paris chez le très connu mandataire Monsieur Baudoin, ne s’affinaient plus. Ils étaient recouvert d’une moisissure verte qui empêchait la fermentation intérieure du fromage.Suite au décès de M. Robat le 27 octobre 1912, l’ensemble de la propriété est mis en vente par son épouse et ses filles.
Ainsi pouvait-on lire cette annonce parue dans l’Est Républicain datée du 08 décembre 1912 «À VENDRE de suite, par suite de décès avec entrée en jouissance immédiate BELLE FERME de la Grange-le-Comte, située territoires d’Auzéville et de Rarécourt. A trois kilomètres de Clermont-en-Argonne (Meuse). Situation exceptionnelle près de la forêt de l’Argonne, dans la Vallée de l’Aire. Cette ferme comprend : Très belle maison de maître, bâtiments pour huit ménages d’ouvriers, vastes bâtiments d’exploitation, étables pour plus de 200 vaches, écuries pour cinquante chevaux, installation complète pour laiterie, pouvant traiter 5000 litres de lait par jour, grande fromagerie, grandes caves avec thermo-siphons, séchoirs, etc. Le tout en parfait état. 120 hectares de terre d’un seul tenant, dont 49 hectares de très bonnes pâtures, très bien closes avec eau partout, le reste en terres labourables. Chemins d’accès et d’exploitation faciles et bien entretenus».
Sources : (1) L'âme meusienne/Ernest Beauguitte auteur/ publication de 1904.
Serge Schéhadé [Camembert-Museum, Première publication, le 08 mars 2021).
Date de dernière mise à jour : 08/03/2021