Société Coopérative Chalonnaise (51)
SOCIÉTÉ COOPÉRATIVE CHALONNAISE, CHALONS-SUR-MARNE (51). par Serge Schéhadé.
La Coopérative Chalonnaise de Consommation avait son siège 15, rue Jean Jaurès à Chalons-sur-Marne ; c'était une laiterie coopérative, l’une des plus intéressantes du genre, tant par son installation toute moderne à l’époque que par le rôle actif et utile qu'elle a joué dans la lutte contre l'augmentation du prix du lait et de ses dérivés. Une coopérative voulue et imaginée par des consommateurs. Un coup d'œil sur l'histoire de sa fondation et sur ses progrès sera donc intéressant.
En octobre 1907, les laitiers de Chalons, d'accord avec leurs fournisseurs des communes de la banlieue, décidèrent de porter le prix du lait de 20 à 25 centimes. Cette augmentation de 25 %, que rien ne justifiait, souleva dans la population un mécontentement général. Mais les protestations restèrent quelque peu platoniques, et, le 1er novembre, tout le monde paya le lait 25 centimes. C’est alors que quelques coopérateurs chalonnais, dirigés par M. Morise, songèrent à remédier pratiquement à un état de choses préjudiciable aux intérêts de tous. S’étant enquis du prix du lait dans les communes situées au delà de la banlieue chalonnaise, ils se rendirent bien vite compte qu’on en pourrait tirer une assez grande quantité à des conditions qui permettraient de ramener le prix de vente en ville à 20 centime par litre, tout en améliorant les prix d'achat payés aux cultivateurs. Résolument, ils se mirent à l’ouvrage et entreprirent de fonder la société actuellement existante. Les difficultés furent grandes au début. Il fallait conclure des marchés de lait. Or comment traiter avec des cultivateurs au nom d’une société qui n’existe pas encore ? Ce problème semblait presque insoluble, et la tentative était près d échouer quand se présenta un intermédiaire, beurrier et fromager des environs, qui s’offrait à fournir une quantité quotidienne de 500 à 600 litres. Il s'agissait ensuite pour M. Morise et ses amis, de trouver et de grouper les collaborateurs nécessaires, ils s’adressèrent aux présidents des sociétés populaires et de secours mutuels. Ils parvinrent, après bien des objections, à convaincre les plus récalcitrant de la nécessité de lutter sur un terrain pratique, et c'est ainsi que fut décidée la fondation d’une « Coopérative du lait », titre sous lequel on la désigne encore souvent aujourd'hui, pour éviter toute confusion avec une société commerciale à succursales multiples, établie plus tard sous une raison sociale analogue.
La nouvelle coopérative était constituée sur la base de parts de 6 francs, payables en cinq fois. Malgré ces extraordinaires facilités. c’est à peine si les organisateurs parvenaient à réunir cinq cents adhésions. Puis ce furent et l'installation et le recrutement du personnel. Enfin, tout fut mis au point, et le 21 avril 1908, la société effectuait sa première distribution de lait. L'effet fut immédiat : le jour même, les laitiers chalonnais ramenaient leur prix à 20 centimes par litre. Ce fut là d'ailleurs, de leur part, un sacrifice bien inutile, puisqu'à dater de ce jour ils perdirent constamment des clients.
La Coopérative Chalonnaise a vu au contraire, le nombre de ses adhérents s'accroître dans des proportions considérables. Les 480 sociétaires du début sont maintenant plus de 2.000. En 1913 seulement, on a enregistré 651 adhésions, et aujourd'hui, plus du tiers de la population de Chalons est fournie de lait, de crème, de fromage, de beurre et d'œufs par la société, pour la plus grande satisfaction de tous. On peut évaluer, en effet, l’économie ainsi réalisée déjà par les consommateurs, à plus d’un demi-million. Et il est vraisemblable qu'avant deux ans, la grande majorité des Chalonnais se fournira à la coopérative. Au début, les agriculteurs ne voulaient pas traiter avec la coopérative. Mais, un jour un intermédiaire, fournisseur de lait de la coopérative, s’étant vanté de gagner beaucoup sur le lait qu'il lui procurait, les producteurs, furieux, refusèrent de traiter avec lui au renouvellement des marchés, et traitèrent directement avec la coopérative, qui saisit au bond cette occasion. Au début, la coopérative payait le lait au même prix en hiver (au moment où il y a pénurie de lait) qu'en été. Après expérience, elle le paie d'autant plus cher eu hiver que la quantité de lait fournie est plus considérable. Ce qu'il est important surtout de noter, c'est que la Coopérative Chalonnaise. en mettant en contact direct les consommateurs et les producteurs de Lait a contribué à améliorer sensiblement les prix en faveur de ces derniers, qui participent ainsi aux bienfaits de cette organisation créée pour la défense des intérêts des premiers. Aussi jouit-elle aujourd’hui d'une grande faveur auprès des agriculteurs de la région. Ainsi se forme l'union des travailleurs de la ville et de la campagne en vue de résoudre dans l'intérêt de tous et pacifiquement, le problème de la vie chère. Voyons maintenant l'installation de la cooperative. L’an dernier, la Coopérative Chalonnaise a fait l’acquisition d’un immeuble où elle va prochainement transférer tons ses services.
Elle a une installation que beaucoup de laiteries privées pourraient lui envier, tant elle est conforme aux derniers perfectionnements réalisés dans l'industrie laitière : force motrice, barattage mécanique, appareils de pasteurisation, rien n'y manque. C'est, en un mot. une usine modèle ; d'ailleurs, au dentier concours agricole de Chalons. une médaille de vermeil lui a été décernée. Quant au personnel, il est, bien entendu, traité avec la plus grande bienveillance et la plus parfaite équité. Aussi chacun, a-t-il à cœur de faire son devoir. Un système de prime aux affaires, à l'ancienneté, à la maternité (pour les vingt porteuses), a été constitué de façon à encourager chacun à travailler avec ponctualité, et il en résulte la plus heureuse émulation, non moins qu’un vif attachement à la société. Aussi les rapports des employés et du conseil sont-ils des meilleurs. Comment, dans ces conditions, ne pas voir prospérer les affaires ? Le chiffre de la vente n'a cessé de s’élever. Il est passé de 38,661 francs en 1908 à 256.878 en 1913. Ln quantité de lait traitée par jour atteint près de 4.500 litres. Ce lait est fourni par trois cents propriétaires de vingt communes environnantes. Afin d’utiliser le petit lait qui était perdu jusqu’ici, la Coopérative chalonnaise vient d'instituer un système très curieux d élevage. Elle achète des porcelets et les met en pension chez des agriculteurs. Ceux-ci fournissent la nourriture aux porcs et la coopérative le petit lait. Quand les porcs sont gras, on les vend et le prix en est partagé par parties égales entre la coopérative et l'agriculteur nourrisseur. Cette coopérative laitière, la première établie en France par des consommateurs, s’est développée à souhait, malgré toutes les prédictions pessimistes qui accueillirent ses débuts. Le succès stimula les initiatives et fit naître à Épernay une organisation identique qui, elle aussi, est prospère. L’année dernière, une délégation des coopératives de Tours vint même à Chalons-sur-Marne étudier l'organisation et le fonctionnement de la laiterie pour en créer une semblable en Touraine. La renommée est certes la meilleure des récompenses.
Sources : Article de Presse, LPR, 15 juin 1914.
Serge Schéhadé [Camembert-Museum, le 1er août 2021]
Date de dernière mise à jour : 01/08/2021