Gamineries
GAMINERIES par Michel Coudeyre.
Que les enfants changent, grandissent, évoluent, cela n'étonnera personne, c'est dans l'ordre des choses, le contraire serait surprenant. Mais, ceux que les artistes ont dessiné sur nos étiquettes de fromage ne se plient pas aussi aisément aux lois naturelles et subissent parfois, à leur corps défendant, les caprices de leur créateur. Les avatars de l'inconstante Petite Gigi nous en offrent un exemple éclatant.
Chacun de nous a pu observer dans sa propre collection certaines de ces métamorphoses. Si on regarde celles-ci avec attention, deux attitudes s'y distinguent nettement. Tout d'abord celle qui consiste à faire évoluer le sujet tout en douceur, pour le mettre à la mode, en lui faisant adopter au mieux les canons en cours. L'autre procède tout autrement, abandon ou trahison c'est selon, le nouvel illustrateur va y imposer son style. Intentionnellement ou sur directive, il rompt de fait avec la précédente création. Dans le premier cas, on devine la préoccupation du donneur d'ordre, rester le plus possible fidèle au modèle d'origine, ne le faire évoluer qu'à la marge afin d'obtenir une transition douce et acceptable, l'illustration sera limitée et discrète, parfois seules la typographie ou la mise en page suffiront. Si personne ne voit le changement, la manœuvre sera réussie. La seconde façon met volontairement à mal la continuité graphique de l'étiquette, parfois installée de longue date, c'est cette "politique de marque" délibérée qui loin de nous déplaire vient enrichir nos collections. Et c'est tant mieux.
Chacun pourra se faire une idée de ces différentes stratégies en examinant les quelques exemples que je soumets à votre aimable sagacité. La Petite Gigi déjà citée ou la Pastourelle, passant d'une petite campagnarde à la Fée Electricité, découlent de ces ruptures brutales et iconoclastes, alors que le P'tit Poitou se contente essentiellement d'un jeu de couleurs de fond.
J'ai choisi de compléter ces exemples par quelques évolutions plus amusantes, qui ne doivent rien aux méthodes précitées : le camembert fabriqué dans le Nord-Est nous présentant un bébé triomphant, voit celui-ci se doter dans sa dernière version d'une culotte qu'une main bienveillante aura décidé de lui attribuer. La Petite Fermière de Derrien Frère a décidé sans attendre la fin de sa livraison de s'octroyer un repos réparateur. Quant aux Petits Vaudois du prolifique Jubien Mika, son jeune musicien conscient de son manque de discernement donnera finalement sa sérénade à une gentille demoiselle plutôt qu'à un quelconque copain. La morale est sauve.
C'est certainement sous la pression exercée par le tyrannique marketing et par ses vicissitudes que la Fromagerie Graf (qui avec la Fromagerie Bel dominait le marché des fromages à tartiner) a abandonné la Tartinette de Joë Bridge pour celle d'Alain Gauthier, puis de celle dessinée par Delorme. * La Vache qui Rit de Bel plus emblématique et plus conceptuelle, aura bien mieux résisté aux sirènes du changement à tous crins. J'ai lu quelque part sur internet cette amusante remarque : - "Enfants 2 – Ressenti 14". Nous n'en dirons pas de même des nôtres, sages comme des images et bien à l'abri dans nos albums.
Michel Coudeyre – octobre 2020
* Michel Renaud et Gilbert Bonin : "L'empire des Frères Graf, de Dôle"
Date de dernière mise à jour : 31/10/2020