Les Coulisses des Etiquettes.
LES COULISSES DES ÉTIQUETTES [MICHEL COUDEYRE]
À l’origine, les imprimeurs étaient avant tout des marchands de papier, ils assuraient pour leurs clients la création des étiquettes. Créations qui étaient confiées à leurs dessinateurs maison ou à des talents extérieurs, spécialisés ou non. Progressivement avec l’apparition du marketing dans les années soixante-dix, les fromageries, devenues entre-temps de véritables groupes industriels, firent appel à des sociétés de communication spécialisées, studios de création, agences de publicité. Dès lors, les créations durent passer sous les fourches caudines des tests et autres études de marché. Toutes les sociétés confondues, clients et prestataires, utilisant les mêmes méthodes, arrivent tout naturellement à des résultats très proches ; adieu la diversité. Ces méthodes sont destinées à trouver ce qui plaît au plus grand nombre, mais surtout, à éliminer ce qui peut éventuellement déplaire. Elles déterminent le plus grand dénominateur commun, suppriment les particularités, rabotent les aspérités et par voie de conséquence stérilisent toute création. Tendre à l’unanimité c’est tendre à la platitude et à l’insipide, c’est être, hélas, bien souvent en cohérence avec le contenu de la boîte. Le goût et la saveur doivent être « internationaux » pour pouvoir générer du volume. Il n’est pas fréquent de trouver des maquettes d’étiquettes ou des projets refusés qui le plus souvent restent dans les cartons des créateurs ou disparaissent dans les archives quand ils ne sont pas tout simplement détruits. Je vous en présente quelques uns que j’ai trouvé au hasard de mes recherches qui m’ont été données ou que j’ai pu commettre.
Tout d’abord une très intéressante et très rare trouvaille dénichée sur une brocante à l’ancienne gare de la Bastille à Paris dans les années soixante-dix. Il s’agit d’un projet pour le Camembert St Hubert La Vache qui rit destiné aux établissements Couillard de Nancy. Ce projet (attribué à Mich) faisait partie des archives de l’imprimerie Gaillard à Paris, il venait certainement en concurrence à celui de Benjamin Rabier. Ensuite une maquette finalisée pour les fromageries Jort, vraisemblablement un document d’exécution prêt à être envoyé à la photogravure.
Un projet d’étiquette dessiné et signé par Muzo (Jean-Philippe) ; il s’agit d’un travail réalisé dans les années quatre-vingt et qui ne semble pas avoir eu de suite. Et enfin deux projets que j’ai réalisé lorsque j’étais en fonction en agence de publicité. Projets destinés aux fromageries Perreault : « Le Trousse Babines » nom trouvé par le rédacteur avec lequel je travaillais et le « Tournerond » projet original ou le fromage était accompagné d’une étiquette rigide destinée à être piquée dans le fromage (au dos de l’étiquette était imprimé un argumentaire). Quelques étiquettes de plus petite taille pouvaient éventuellement accompagner des parts individuelles. Ces deux projets ne sont guère allés plus loin que quelques réunions ; ils étaient présentés sous la forme habituelle de « roughs » (croquis d’intention). Si ceux-ci avaient été retenus, j’en aurai confié l’exécution à des illustrateurs adéquats.
Contrairement aux étiquettes classiques qui accompagnent les fromages traditionnels : camembert, Pont-l’Evêque, Livarot, Carré de l’Est, etc.… les « spécialités fromagères », c’est-à-dire les créations, les nouveautés, avant d’être produites industriellement font l’objet de tests longs et rigoureux auprès des consommateurs. Le service marketing du groupe élabore et définit parallèlement au déroulement de ces tests l’apparence définitive du produit qui peut résulter d’une réflexion commerciale comme le Roulé, le Vieux Pané, produits qui se prêtent à une communication spécifique prévue dès l’élaboration du produit. Il confie à son agence de publicité la création de l’étiquette et de l’ensemble de la communication possible : annonces presse professionnelle et grand public, affichage, radio et films télévision. Ceci afin de se rassurer et de vérifier que tout est cohérent dans la conception du produit et de sa communication, (sans envisager très sérieusement une future exploitation média). Tout doit être prêt au cas où les tests seraient positifs. Ceux-ci l’étant rarement, l’énorme travail effectué sera abandonné ainsi le Tournerond, le Trousse Babines et bien d’autres resteront dans les cartons ; je les ai exhumés ici pour votre connaissance.
Michel Coudeyre [Camembert-Museum] [22 Mai 2011]
Date de dernière mise à jour : 02/07/2021