Quand et Comment.
QUAND ET COMMENT SONT NÉES LES ÉTIQUETTES DE FROMAGE
Je voudrais rassembler dans cet article les informations souvent parcellaires diffusées ici et là dans les ouvrages consacrés aux étiquettes de fromage et répondre du mieux possible aux questions élémentaires que tout collectionneur ou tout curieux se pose : Quand et comment sont nées les étiquettes de fromage et comment les dater ?
J’augmente les informations que j’ai pu relever d’observations personnelles et j’agrémente cet article d’un certain nombre d’étiquettes exemplaires pour illustrer mon propos.Si beaucoup de fromages voyagent sans problème comme le Parmesan, l’Edam ou le Gouda qui faisaient le bonheur des marins au long cours, ou encore le Cantal qui était déjà apprécié à Rome du temps de César, il n’en va pas de même des fromages à pâte molle et notamment de ceux qui nous intéressent ici particulièrement car vendus en boîte individuelle étiquetée.
Ces étiquettes (tyrosèmes pour les collectionneurs spécialisés) sont apparues en France à la fin du 19e siècle à la faveur de la conjonction de trois facteurs déterminants. Tout d’abord le développement du chemin de fer qui, en mettant la Normandie à moins de 6 heures de Paris, a permis notamment au camembert de venir y concurrencer le Brie. Puis à la toute nouvelle technique du bois déroulé permettant la fabrication de boîtes légères, pratiques et individuelles ; et enfin aux progrès du procédé d’impression chromolithographique qui supplanta la gravure traditionnelle en creux sur cuivre (taille douce, aquatinte, pointe sèche, eau forte…) et la gravure en relief sur bois debout. Ce procédé eut l’énorme avantage d’être rapide, économique, et d’apporter la polychromie. Dès lors, le fromage dans sa boîte étiquetée pouvait voyager et partir à la conquête des grandes agglomérations de la France entière, de l’Europe des Etats-Unis, etc…
L’étiquetage devenait le moyen de reconnaissance, il permettait au consommateur d’identifier et de reconnaître un produit et au producteur de fidéliser sa clientèle. Il fut aussi un moyen d’informer le consommateur (à l’époque, la clientèle) sur la meilleure façon de déguster le camembert (voir étiquette du camembert L.R.)
Les thématiques des toutes premières étiquettes étaient celles en vogue à l’époque de leur création. C’était surtout la représentation des médailles remportées lors des concours agricoles ou alimentaires comme indiqué sur certaines étiquettes, garantie de produits qualifiés.
Ces premières étiquettes furent aussi l’occasion pour les propriétaires de faire la promotion de leurs autres productions (pommes, eau de vie de cidre…). L’imprimeur Depierre à Lisieux, lui-même, signalait qu’il fabriquait des boîtes et des étiquettes (étiquette Henri Sauvey). Un autre argumentait sur l’autosuffisance de ses pâturages (étiquette Le Petit Mignon) ; un autre encore, exploitant d’une crémerie à Lille, édite une étiquette générique qui devient le support de l’ensemble de ses produits proposés à la vente. On remarquera l’étiquette de la Veuve Bédouelle justifiant son absence de récompense par le fait que ses produits n’ont jamais concouru.
Sans toutefois être totalement abandonnée, la présence des médailles céda le pas au fil des années à la représentation des fromageries, des fermières, des vaches. Puis vint celle des gloires locales, du patrimoine architectural, des animaux de toutes espèces. Sans oublier les ecclésiastiques, les allégories, les activités laborieuses ou de loisirs, les fictions, les blasons ou les thèmes en rapport avec l’actualité (inauguration du métropolitain Gare de la Bastille, Guerre des Boers, guerre de 14-18, lancement du Normandie, lancement du Spoutnik, ou plus récemment la commémoration du débarquement de juin 1944 illustrées ici). Désormais, rien n’échappa à l’imagination des créateurs ou à la demande des fromagers.
COMMENT DATER LES ÉTIQUETTES ?
Si on se réfère à l’excellent travail effectué par le regretté Monsieur Leconte et dont il avait donné la primeur aux Éditions Syros pour leur ouvrage sur les étiquettes de Camembert édité en 1992, travail de consultation des archives de l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI), la première étiquette de camembert répertoriée a été déposée en 1867 par Michel Itier. Etiquette rectangulaire de 2 cm sur 6 cm portant la seule mention « fromage de Camembert » ; à cette époque, (continue Monsieur Leconte dans le n° 115 du CTF de janvier 1994) les camemberts étaient transportés dans des clayettes de bois, couchés par 6 entre deux lits de paille, et vendus à la pièce par le commerçant, sans emballage particulier. On peut donc supposer que ces premières étiquettes étaient apposées sur la clayette elle-même et qu’elles étaient avant tout des étiquettes d’expédition. (Je vous en propose ici deux spécimens).
Toujours d’après les recherches d’Edmond Leconte, la première étiquette ronde déposée l’a été le 2 octobre 1887 par Jules Charrel, négociant à Paris. Il s’agit du camembert « Le Sans Rival » ; il est indiqué sur le dépôt que cette marque pouvait « être apposée sur des boîtes renfermant des fromages ».
Le 27 avril 1888, la marque « Le Camembert des Princes » est déposée par Achille Herson, négociant à Paris, avec sur l’étiquette cette mention « Exiger la marque sur chaque fromage, toujours livré dans une boîte neuve ».
En dehors du dépôt légal qui permet de dater très précisément la création d’une étiquette, l’impression de celle-ci venant immédiatement après, voici toujours répertoriées par E. Leconte des informations qui nous permettront de dater nos tyrosèmes :
Vignettes de syndicats : L’apposition d’une vignette du Syndicat des Fabricants du Véritable Camembert de Normandie (S.V.C.N.) a été décidée en 1909 à Lisieux. L’étiquette « Aux Ducs de Normandie » déposée à Falaise (Calvados) le 30 juin 1910 a été une de ces toutes premières étiquettes. (D’autres vignettes de syndicats suivront dans la foulée.)
Teneur en matières grasses : La première étiquette comportant la teneur en matières grasses a été déposée le 28 novembre 1935 par Henri Petit domicilié à Amiens ; il s’agit du camembert « Le Paon Bleu ».
Syndicat et teneur en matières grasses : La première étiquette avec la mention du syndicat et la teneur en matières grasses a été déposée le 8 mai 1936 par les Ets Dupont d’Isigny ; il s’agit du camembert « Le Persan Bleu ».
L’exemple des étiquettes du Château de Bourg nous permet de suivre l’évolution d’une étiquette. Etiquette originale puis apparition du syndicat et enfin du pourcentage de matières grasses ; la fromagerie en aura profité pour mettre son étiquette au goût du jour tout en conservant l’esprit initial.
Code des laiteries : Les codes de laiteries ont été attribués par les préfectures en 1954 (mais ne sont pas obligatoires si le nom et l’adresse du fabricant, du vendeur ou du conditionneur sont mentionnés clairement).
Dénomination des départements : Les départements « inférieurs » deviennent « maritimes » à partir de 1941 pour la Charente, 1955 pour la Seine, 1957 pour la Loire. Le département des Côtes du Nord deviendra Côtes d’Armor en 1990.
Le Label Rouge et le code-barres : Le label rouge fait son apparition en 1965 ; le code-barres arrive progressivement à partir de 1980 (certains fabricants le collent au revers de la boîte).
Bande transversale bleue
Certaines étiquettes sont barrées d’une bande transversale bleue, celle-ci est destinée à attirer l’attention sur le fait que la boîte renferme un fromage qui ressemble à un camembert mais n’en est pas un. Cette bande a été rendue obligatoire pour les fromages non définis dont l’aspect rappelle un fromage défini ou pour les fromages titrant moins de 40% de matières grasses. (extrait du bulletin d’information du Laboratoire Coopératif d’Analyses et de recherches, de sept/oct 1971 – information reprise par le bulletin du CTF n°60 d’octobre 1975).
Appellation contrôlée AOC, date limite de vente et logo AOP : L’appellation contrôlée fait son apparition fin 1983. La date spécifique de limite de vente (et non pas de consommation comme on a coutume de le comprendre) est obligatoire depuis le 20 juin 1992 mais celle-ci peut être inscrite n’importe où sur la boîte. Déjà reconnu pour le camembert depuis 1996, le logo AOP (Appellation d’Origine Protégée) jaune et rouge devient obligatoire à partir du 1er mai 2009 en remplacement du logo AOC.
L’étude des imprimeries, de leurs années d’activité nous apporte elle aussi de précieuses informations, mais cela fera l’objet d’un autre article.
Je voudrais terminer cet exposé par une dernière information toujours fournie par M. Edmond Leconte. Il note qu’entre les années 1867 et 1890 un déposant sur cinq orthographie camembert avec un « n ». Ce « n » se retrouve sur une carte du Pays d’Auge du 18e siècle, ainsi que sur le monument aux morts de la guerre 14/18 de la commune de Camembert.
Michel Coudeyre [Camembert-Museum] [Le 25 juillet 2011]
Bibliographie : Bulletins du CTF n° 60 & 115 & Le Tyrosémiophile.com.
Date de dernière mise à jour : 05/02/2017