Les Sales Copieurs.
LES SALES COPIEURS [PAR MICHEL COUDEYRE]
On aura compris que chaque sujet abordé ici est le prétexte à montrer ce qui nous est cher, des étiquettes de fromage. Pourtant, aucune étiquette vraie et authentique ne sera montrée dans celui-ci. Nous y observerons plutôt l’influence qu’exercent les étiquettes dans le monde qui nous entoure, celles-ci font désormais partie de notre patrimoine. La Vache qui Rit a rejoint depuis longtemps déjà le bébé Cadum et le bonhomme Michelin dans le panthéon des personnages publicitaires emblématiques. Elle remplace en France très heureusement la boîte de soupe Campbell de l’américain Andy Warhol et le camembert dans sa boîte fait désormais figure de gloire nationale.
L’identité très forte des étiquettes de fromage et leur présentation unique dans des boîtes rondes en bois déroulé a amené différents acteurs de la vie commerciale à exploiter à leur profit cette présentation particulière. Les Caramels de Normandie se sont très tôt appuyés sur la renommée des camemberts en présentant leur produit de façon similaire. C’est un coup de chapeau au produit de référence, ce qui ne pouvait bénéficier qu’aux deux parties.
Plus étrange, cette même utilisation par le Studio Trans BD pour présenter ses illustrateurs (l’étiquette est signée Solé en 1987) ; la justification de cet emprunt s’exprime par cette mention : 100% matière création.
On retrouve cette même démarche avec ces 7 étiquettes de fromage de chèvre pour la présentation d’une équipe de « roughmen » et destinées à exprimer la variété de leurs talents. Autre exemple inattendu avec cette présentation d’un CD des Bidochons « 1% matière grise, 99% matières grasses » évoquant fortement l’esprit franchouillard de leurs auteurs.
Avec cette fausse étiquette reprenant les portraits de Lady Di et du Prince Charles, le magazine « Normandie Magazine » qui en a fait sa Une a voulu souligner la prise de position du Prince Charles pour la défense du camembert traditionnel au lait cru.
Enfin les peintres comme J.P. Salaün, Béchou ou encore les caricaturistes, ici deux exemples, s’appuient sur l’aspect national patrimonial et intemporel de la Vache qui Rit pour en faire l’objet de leur inspiration à l’instar de la Joconde.
Voici quelques nouveaux éléments en complément de notre article : Il s’agit d’étiquettes de confiseries qui à l’instar des boîtes de caramels parodient quelquefois avec humour nos tyrosèmes. On remarquera notamment le Petit Pont Monseigneur, le Suca-membert ou encore les mini camemberts en pâte d’amande. J’ai pour ma part pu observer encore récemment un camembert bruiteur vendu dans sa boîte, camembert destiné à alimenter plus la farce que l’estomac !
Cette petite collection parallèle est loin d’être exhaustive et chacun d’entre nous aura à cœur de la compléter car ces avatars ne nous ont pas encore révélé toutes leurs diversités ni toutes leurs richesses. Longue vie à ces « sales copieurs » qui sont comme un hommage à leurs modèles.
En s'installant durablement dans l'imagerie populaire, la Vache qui Rit est devenue pour beaucoup d'artistes une source d'inspiration qui ne se dément pas. Je réactualise aujourd'hui ce sujet déjà traité mais certainement pas épuisé.
Tout d'abord, la Vache qui Rit y tient encore la place d'honneur avec le logo de la Galerie Vincy à Paris qui partage la vedette avec le taureau des Chicago Bulls ; mariage contre nature auquel n'auraient certainement pas consenti Léon Bel et Benjamin Rabier. Puis elle échange ses fameuses boucles d'oreilles avec celles du journal Libération (7 avril 2014) dans un très reconnaissable dessin d'Honoré (assassiné chez Charlie Hebdo en janvier 2015). Elle s'efface derrière sa, ses, boîtes surdimensionnées servant de support aux travaux de l'artiste italien Antonio de Pascale (exposition au MAC de Montélimar en juin 2014). Lefred Thouron, lui, dans un dessin pour le Canard Enchaîné la prend pour modèle, référence qui ne peut que faire le bonheur des collectionneurs. Le regretté Reiser (1941/1983) fait un parallèle décoiffant avec les Miss toutes aussi souriantes que notre célèbre vache (extrait de La Vie des Bêtes - Éditions du Square 1974). Enfin, le Musée des Beaux-Arts de Dole conserve une peinture de Rancillac intitulée "Sainte-Mère la vache n°2" – acrylique sur toile réalisée en 1972. Enfin, ultime récupération, on peut trouver actuellement au BHV et ailleurs, cet étonnant extincteur la consacrant mascotte de nos pompiers.
Bien que tirant beaucoup la couverture médiatique à elle, la Vache qui Rit ne peut s'empêcher de laisser passer quelques étiquettes concurrentes plus discrètes. Une peinture sur bois de l'étiquette Le Maître d'Hôtel fortuitement découverte au marché aux puces de St Ouen a pu servir d'enseigne, peut-être pour la fromagerie elle-même, pour décorer l'entrée d'un hôtel, d'un restaurant ou pour un usage plus personnel, nul ne le saura jamais. L'utilisation de Mélanie détournée (aux deux sens du terme) par Cathy Millet pour illustrer la lettre J de son alphabet (Cathy Millet Show – Éditions Le Dernier Terrain Vague, 1980) qui trahit à son corps défendant la laiterie pour la charcuterie. En son temps, Mady Cuinet nous avait fait profiter d'une peinture de J. P. Salaün (bulletin n° 115 du CTF – janvier 1994), travail que je reproduis ici.
Nous profiterons aussi d'une reproduction de l'étiquette "La Vallée" (taille tel) réalisée en broderie par Harriet Friedman en 1973. Cet objet était destiné avec d'autres à présenter son travail auprès des photographes et des cinéastes.
Si l'expression graphique se prête tout particulièrement à l'utilisation et à la récupération de l'imagerie des tyrosèmes, tout comme celle-ci s'est emparée sans aucune gêne des personnages de fiction créés pour d'autres usages. La littérature en fait moins cas. Citons cependant Salvador Dali : "New-York c'est un roquefort gothique, San Francisco me fait penser à un camembert normand".
Michel Coudeyre, [Camembert-Museum] octobre 2016.
Date de dernière mise à jour : 29/03/2017